26 octobre 2015

Aloha, Mr Cameron Crowe


Moi, quand on me dit que Cameron Crowe, mon réalisateur préféré, l'auteur de mon film préféré, va ressusciter un de ses vieux projets en remplaçant Ben Stiller par Bradley Cooper et Reese Witherspoon par Emma Stone, tout en ajoutant à ce casting Rachel McAdams, John Krasinski, Danny McBride, Alec Baldwin et Bill Murray, je saute au plafond. Ca devient instantanément la meilleure nouvelle du jour, voire de la semaine, voire du mois. Peu importe que le pitch inclue dans une même et improbable phrase, les mots "comédie romantique", "Hawaii", "militaire" et "conquête spatiale".

Alors, quand les premiers échos du naufrage, de la calamité du film sont apparus (après le Sony Leaks), je n'ai pas voulu y croire. Après tout, son sixième film, Elizabethtown s'était déjà fait descendre un peu partout et reste un film mal-aimé par "la majorité". Moi, au contraire, c'est un de mes films préférés de Cameron Crowe, un de ses plus personnels et sincères - même si on peut lui reprocher certaines choses (en particulier la "Manic Pixie Dream Girl" peu subtile jouée par Kristen Dunst). We Bought A Zoo, aussi, avait eu son lot de critiques pas tendres. Des critiques que je pouvais comprendre mais auxquelles je ne me suis pas du tout identifié.

Cameron Crowe est un scénariste-réalisateur qui a connu les Oscars. Il a été, dans la deuxième partie des années 90, considéré comme un auteur américain qui compte, du calibre des James L. Brooks, Woody Allen, Mike Nichols, Hal Ashby ou Billy Wilder. Il a été un auteur capable de rendre prestigieuses et "oscarisables" des comédies et comédies romantiques.

Mais ça, c'était avant Elizabethtown. S'il était encore un auteur capable d'attirer des acteurs prestigieux (Matt Damon dira qu'il a accepté We Bought A Zoo, malgré l'étrangeté du concept et les moqueries de ses collègues acteur, uniquement pour Cameron Crowe), Aloha le place dans une situation assez similaire à celle de M.Night Shyamalan ou Francis For Coppola, des gens qui ont réalisé des grands films mais qui auraient atteint leur date de péremption.

Franchement, la période qui a suivi la sortie américaine, le déchaînement des critiques, les chiffres rachitiques du box-office, la polémique de "white-washing", ont été un crève-coeur.

Mais Aloha est enfin visible "légalement" en France (sur Netflix), après une sortie en salles annulée après la cata de la sortie américaine. Je pouvais enfin me faire une idée.

Le film serait-il le désastre annoncé par la critique américaine ? Me laisserais-je aveugler par mon amour comme je me laisse trop souvent aveuglé par les filles qui font battre mon coeur ? Faudrait-il que je me résous à mettre un peu d'eau dans mon vin pour tout ce qui concerne mon culte personnel à Cameron Crowe ? Ou faudrait-il carrément que je brûle mes DVD de Jerry Maguire, Say Anything, Almost Famous, Fast Times At Ridgemont High, Vanilla Sky et Elizabethtown ?

Ca faisait déjà longtemps que la "polémique" sur le personne d'Emma Stone m'énervait. Selon certains, l'actrice n'avait aucune légitimité à jouer un personnage "1/4 hawaiien". Si le "white-washing" est bel et bien réalité et une plaie qui ronge Hollywood, c'est impossible d'accuser Cameron Crowe sur ce point pour la simple et bonne raison "qu'être 1/4 d'une origine quelconque" n'implique absolument pas que ça se voit sur votre visage (par exemple, saviez-vous que Chad Michael Murray et Dean Cain sont 1/4 japonais, que Keanu Reeves et Ne-Yo sont 1/4 chinois, que Rob Schneider est 1/4 philippin et que Mark Paul Gossellaar est 1/4 indonésien ?). Du coup, aurait-il fallu trouver une actrice 1/4 hawaiienne pour le rôle de Allison Ng par ailleurs basé sur une jeune femme bien réelle, elle aussi rousse, elle aussi 1/4 hawaiienne ? Absurde.

Ca l'est d'autant plus que cette particularité (ne pas avoir de traits asiatiques) est une partie intégrante du personnage, elle qui ne cesse de parler de ses racines pour combler l'absence de repères physiques. C'est cette particularité qui rend le personnage si touchant, une héroïne si parfaitement "crowiennne", digne héritière de Diane Court (Ione Skye dans Say Anything), Janet Livermore (Bridget Fonda dans Singles), Penny Lane (Kate Hudson dans Almost Famous) et Dorothy Boyd (Renée Zellweger dans Jerry Maguire), à la fois si profondément indépendante et si intimement fragile.

J'aime Emma Stone depuis Superbad en 2007 et l'adore depuis House Bunny en 2008. Et elle n'a jamais été meilleure que dans Aloha. Jamais elle n'a été aussi subtile. Dommage que ce ne soit pas LE rôle que l'histoire retiendra d'elle.

Reste le film. Pas besoin d'avoir un doctorat en dramaturgie pour se rendre compte qu'il a un sérieux problème. Dans la première partie, c'est quasi-indétectable. Mais à un peu plus de la moitié du film, il y a comme un malaise. Les scènes s'enchaînent s'en qu'on comprenne ce qui s'y passe réellement, des sous-intrigues sont résolues sans qu'on ait vraiment compris où elles avaient commencé, d'autres ne le sont même pas du tout, des conflits éclatent sans qu'on sache vraiment pourquoi. Bref, c'est un beau bordel !

Il faut se rendre compte que Cameron Crowe n'est pas un scénariste lambda. La première fois qu'il a écrit un film, ce film est devenu le premier teen-movie de l'ère moderne, un film révolutionnaire qui en a influencé des centaines d'autres après lui, du Breakfast Club à American Pie. Dans ses toilettes ou sur sa cheminée prône par ailleurs l'Oscar du meilleur scénario pour Almost Famous et une nomination pour Jerry Maguire. Si une telle personne n'est pas capable de structurer correctement un scénario, qui l'est ?

Bref, Aloha respire le film massacré au montage, découpé à la machette, par un studio sans vergogne. Ce ne serait pas une nouveauté. Sergio Leone s'est vu couper 2h10 de sa version "idéale" de Il Etait Une Fois En Amérique. Terry Gilliam s'est vu amputer 48 minutes de son Brazil. Billy Bob Thornton s'est vu supprimé 2h04 de son ambitieuse adaptation du All The Pretty Horses de Cormac McCarthy. Michael Cimino a dû sacrifier 1h10 de ses Portes du Paradis.

Et ce n'a jamais été une surprise de constater que les versions du réalisateur (quand elles ont été rendu visibles) étaient toujours meilleures que celles charcutées par les studios.

Le fait de voir dans la bande-annonce d'Aloha des scènes qui ne sont pas dans le film permet de confirmer en partie cette théorie du charcutage. A savoir si la version "director's cut" sera un jour disponible, c'est la grande inconnue. Il a fallu presque 30 ans pour voir les versions de Il Etait Une Fois En Amérique et Les Portes du Paradis voulues par leurs auteurs. Quant à All The Pretty Horses, quinze ans plus tard, on a jamais vu le drame sombre et austère voulu par Thornton : il faut se contenter du mélo voulu par le studio. Quand un film est à ce point vilipendé lors de sa sortie, un studio n'a aucune raison, à court ou moyen terme, de sortir une version "director's cut". Aucune. Ce serait perdre la face, avouer son tort.

Je veux bien croire que le film, avant d'être charcuté, était thématiquement complexe. Après tout, on parle d'un militaire blessé en Afghanistan qui revient à Hawaii pour convaincre les indépendantistes de prêter leur terre afin de lancer un satellite de communication avec l'aide des militaires et qui finit par tomber amoureux d'une pilote de chasse tout en créant de la tension dans le couple de son ex-amour de jeunesse. Bref, Cameron Crowe ne fait pas dans la simplicité. Militarisme, capitalisme, idéalisme, recherche des racines, il y a beaucoup de choses dans Aloha.

Mais Cameron Crowe n'a jamais réellement fait dans la simplicité. Et ça s'est toujours ressenti dans la durée de ses films : Jerry Maguire faisait 2h19, Almost Famous 2h02 (et 2H42 dans sa version longue), Vanilla Sky 2h16, Elizabethtown 2h03 et même un film au concept aussi simple que We Bought A Zoo durait 2h04.

Cameron Crowe fait un cinéma de personnages. Et ça prend du temps de développer des personnages auxquels on peut s'identifier. Quel auteur aujourd'hui à Hollywood fait des films "adultes" centrés sur ses personnages de plus de 2h ? Plus personne. Car Hollywood n'aime plus ça (Sur le sujet, vous pouvez lire l'excellent essai du réalisateur Alex Ross Perry sur Cameron Crowe et le film). Et c'est ça qui a (probablement) gêné les boss de Sony/Columbia : hors biopic, ils ne savent plus vendre et appréhender un film d'auteur de plus de 2h sans scènes d'action, en particulier avec un pitch à priori aussi abstrait.

Aloha, lui, (dans sa version disponible sur Netflix) ne fait que 1h45. La durée la plus batarde possible. Une durée bien trop courte pour traiter correctement l'ensemble des thèmes et des personnages de Aloha.

Un traitement d'autant plus dommage que la scène finale du film, malgré toutes les coupes, est une des plus belles scènes de fin que j'ai jamais vu. Vraiment. Tout en silence, elle permet de rappeler que la communication ne passe pas forcément par les mots et le bruit et surtout de mettre en perspective cette scène (à priori) abscons (mais très "crowienne") du satellite s'auto-détruisant après avoir absorbé l'ensemble des sons du monde.

Aloha est un vrai crève-coeur mais ce n'est pas ça qui me fera mettre à la poubelle l'autel érigé dans mon salon en l'honneur de Cameron. Aloha, Mr Crowe.


06 octobre 2015

Y a-t-il de la place pour une pop-star «normale»?



Je n'écris pas que sur le cinéma. La preuve avec cet article sur la pop-music avec du Taylor Swift, du Kylie Minogue, du Madonna et surtout du Carly Rae Jepsen.

Vous pouvez le lire sur Slate.fr.