Dans sa critique du ELIZABETHTOWN de Cameron Crowe pour le site
The AV Club, Nathan Rabin parle, pour décrire le personnage de Kirsten Dunst, de "Manic Pixie Dream Girl" (littéralement "fille espiègle de rêves féeriques"). Selon lui, cette fille
"est une pétillante et un peu vide créature cinématographique existant seulement dans l'imagination fiévreuse d'auteurs sensibles pour apprendre à de jeunes garçons attendrissants à embrasser la vie et ses infinis mystères et aventures".
Bref, la Manic Pixie Dream Girl est devenu le terme
pop pour parler de toutes ces filles pleines de joie de vivre, légèrement délurées, un peu mélancoliques, tendrement excentriques qui aiment écouter des groupes alternatifs en chantant à tue-têtes les oreilles cachées par leurs gros écouteurs. Toutes ces filles avec des hobbys qui semblent étranges au commun des mortels. Toutes ces filles indifférentes à la pression sociale et au qu'en-dira-t-on. Toutes ces filles qui refusent toute forme de cynisme préférant l'idéalisme et l'optimisme. Toutes ces filles héritières d'Annie Hall et de Holly Golightly. Toutes ces filles qui ressemblent à
Natalie Portman dans GARDEN STATE ou BEAUTIFUL GIRLS, à Rachel Bilson dans THE LAST KISS, à
Elisha Cuthbert dans MY SASSY GIRL, à
Zooey Deschanel dans YES MAN. Toutes ces jeunes filles, créatures de cinéma, objets de fantasmes de garçons sensibles et un peu paumés sentimentalement.
Toutes ces filles qui visiblement ne plaisent pas à tout le monde...
Ce que je peux comprendre. Si tout le monde aimait le même genre de filles, rechercher l'âme-soeur deviendrait extêmement compliqué. Ce que je ne comprends pas, en revanche, c'est les sous-entendus extrêmement péjoratifs de la définition de Rabin et le déchaînement des féministes sur ces personnages. Par exemple,
Jezebel les appelle le "fléau du cinéma moderne". Quant à
Feminist Frequency, les Manic Pixie Dream Girls leur donnent envie de "hurler ou de vomir, voire les deux". Pour résumer leurs arguments, elles leur reprochent d'être des clichés, des fantasmes dont le seul but est de sortir l'homme (blanc et hétéro) de sa détresse et donc de promouvoir l'idée selon laquelle les femmes sont toujours au service de l'homme, qu'elles n'ont pas le droit d'avoir une vie à elle. En gros, dans les années 50, la femme s'occupait des tâches ménagères pour que l'homme se sente bien dans ses baskets fatiguées par une journée de travail. Dans les années 2000, la femme serait pétillante et espiègle pour que l'homme se sente bien dans ses baskets dépressives. Bref, la MPDG serait aux garçons sensibles ce que la blonde décérébrée aux gros seins serait aux garçons "moins sensibles".
Ceux et surtout celles qui me lisent depuis plus de quatre ans savent que je ne suis pas du genre macho. Je serais même plutôt à l'inverse. Une fille m'a dit récemment que mon blog était très "féminin". J'en suis conscient ou, plutôt, j'ai appris à en être conscient. Je sais aussi qu'il y a beaucoup de moi dans ces fameux garçons sensibles qui ont inondé la pop culture de ces 5-6 dernières années, les Zach Braff, les Tom Hansen. Je ne suis pas eux mais j'ai de gros points communs avec eux. Notamment dans la façon d'appréhender les relations amoureuses et d'aimer les filles pétillantes et espiègles. C'est comme ça. On est comme on est. Je suis un garçon sensible et j'aime les Manic Pixie Dream Girls. C'est sûrement mon "imagination fiévreuse d'auteur sensible" (rapport à
ça). Est-ce pour autant que je perpétue des clichés et dégrade ainsi l'image de la femme moderne ?
Quand vous commencez à écrire un scénario, la première chose que vous êtes obligés de faire, c'est de trouver un héros - un personnage dont vous allez tracer la "ligne de désir" tout au long de l'histoire. Et ce héros, la plupart du temps, c'est vous ou du moins une partie de vous. Il n'y a rien de pire que les scénaristes dont les histoires sont désincarnées. Une bonne histoire est une histoire personnelle. Je ne parle pas forcément d'autobiographie. Je parle juste d'émotions, de sentiments, de points de vue sur le monde. Tant que ça vient du coeur, c'est personnel. Alors, que faites-vous naturellement quand vous êtes un auteur mâle entre 25 et 30 ans et que voulez écrire une histoire à partir de vos doutes et vos joies ? Vous faites de votre héros un homme entre 25 et 30 ans. Et quel est le meilleur moyen au monde pour éliminer ces doutes et partager ces joies ? Trouver l'Amour auprès d'une jeune fille aigrie, cynique ou déprimée ? J'en doute. Trouver l'Amour auprès d'une jeune fille espiègle et pétillante ? Peut-être davantage.
La Manic Pixie Dream Girl est une vision de cinéma, le moteur d'une histoire (plus ou moins) personnelle. Elle a donc autant le droit d'exister que les geeks d'une production Apatow, que les femmes fatales d'un film noir, que les intellos arrogants d'un film de Woody Allen, que les gangsters d'un film de Scorsese etc. Tous sont des clichés plus ou moins réalistes. Mais le cliché se nourrit de cinéma et le cinéma se nourrit de clichés. La fiction est une usine à fantasmes et la MPDG est un de ses produits phares ces dernières années. OK. Mais les modes changent, les consommateurs avec eux.
La raison d'être des Manic Pixie Dream Girls, à mon avis, ne se pose donc pas. Reste que ses détracteurs les plus virulents ne voient en elle qu'une créature "un peu vide" dont le seul but dans la vie est "d'apprendre à de jeunes garçons attendrissants à embrasser la vie et ses infinis mystères et aventures" - argument également au centre des reproches féministes. On peut donc se poser la question : est-ce que la raison de vivre de l'excentrique Sam, dans GARDEN STATE, est uniquement de résoudre la déprime d'Andrew ? Est-ce que l'espièglerie de Claire, dans ELIZABETHTOWN, n'a de sens que face à la dépression de Drew ? Est-ce que toutes ces jeunes filles de cinéma sont vides à ce point qu'elles n'auraient aucune vie à elles seules ? Leur joie de vivre s'oppose-elle forcément à la mélancolie de l'homme en face d'elle ?
Si l'on prend la scène finale de GARDEN STATE, j'entends deux choses : "on a besoin l'un de l'autre" et "tu as changé ma vie". Ce que j'entends là, c'est le partage. J'entends un garçon sauvé par une fille. J'entends une fille sauvée par un garçon. J'entends un garçon et une fille autant dépendant de l'un que de l'autre. Il n'y a pas une fille plus dépendante à un garçon qu'un garçon plus dépendant à une fille. Ils sont égaux. Ils sont amoureux et leur relation fonctionne dans les deux sens : il a autant besoin d'elle que elle de lui.
Dans ELIZABETHTOWN ou YES MAN, c'est un peu différent. La réciproque est moins vraie. La fille sauve le garçon. Mais comment le sauve-t-elle ? Selon les féministes citées ci-dessus, ce serait grâce à son seul côté pétillant et donc par la vacuité d'une vie que le garçon exploiterait pour son seul bonheur personnel. Que ça ?
A première vue, aimer les Manic Pixie Dream Girls, c'est aimer la beauté naturelle et
low profile, l'espièglerie et cette capacité à être gentiment excentrique. Ca, c'est l'apparence. La réalité (en tous les cas, la mienne), c'est qu'aimer les Manic Pixie Dream Girls, c'est avant tout aimer leur vie intérieure. Contrairement aux modèles féminins proposés par Hollywood dans la plupart de ses comédies romantiques, films d'action etc., la Manic Pixie Dream Girl est une des seules/rares à avoir une vie à elle. Claire dans ELIZABETHTOWN est une hôtesse de l'air indépendante, féminine avec des goûts en musique qui n'appartiennent qu'à elle et qui, clairement, n'a aucun besoin d'un homme pour vivre sa vie comme elle l'entend. Et si elle est pétillante et pleine de joie de vivre, tant mieux pour elle. Idem pour Zooey Deschanel dans YES MAN. Elle fait partie d'un groupe de rock expérimental, donne des cours de jogging-photo et tout un tas d'autres activités qui en font un être à part, sans contraintes masculines. Bref, Claire et Allison sont des jeunes femmes de leur temps qui n'ont aucun compte à rendre à personne - et surtout pas aux hommes.
Si la Manic Pixie Dream Girl permet aux hommes d'être mieux dans leur basket, c'est avant tout parce qu'elle-même est bien dans les siennes. C'est cela que je ne comprends pas dans l'argumentation anti-MPDG. C'est comme si le simple fait que l'homme soit au centre du film était une mauvaise chose. Ca ne l'est pas. Ce qui l'est, en revanche, c'est qu'il le soit tout le temps. Ca, je le comprends.
Le problème n'est pas la Manic Pixie Dream Girl. Le problème est Hollywood - Hollywood qui ne crée pas d'héroïnes féminines, qui ne produit pas de films dont la ligne de désir soit celle d'une fille. Ceci est un problème. Des scénaristes très talentueuses ont émergé ces dernières années : Dana Fox (WHAT HAPPENS IN VEGAS avec Ashton Kutcher et Cameron Diaz), Liz Meriweather (SEX FRIENDS avec Ashton Kutcher et Natalie Portman), Lorene Scarafia (NICK & NORAH'S INFINITE PLAYLIST) et, bien sûr, l'inévitable et absolument fabuleuse Diablo Cody (JUNO, JENNIFER'S BODY et la série THE UNITED STATES OF TARA). Mais ça ne change pas grand chose. Pour une Ellen Page dans JUNO, c'est Michael Cera la ligne de désir de NICK & NORAH et Ashton celle de SEX FRIENDS. Les personnages féminins sont sans aucun doute beaucoup plus développés et riches dans ces films mais les pures héroïnes de cinéma sont très rares. Et c'est une honte. On est d'accord.
Alors, évidemment, vous allez me dire que ces auteurs, si on leur donnait l'occasion d'écrire de vraies héroïnes féminines, elles ne créeraient pas de Manic Pixie Dream Girls. C'est possible. Mais elle pourrait créer des Manic Pixie Dream Boys, des garçons gentiment excentriques qui apprendraient aux jeunes filles cyniques et blasées à reconnaître le vrai Amour et à cultiver une certaine idée de l'optimisme. Des garçons comme Ben Stone (Seth Rogen) dans EN CLOQUE MODE D'EMPLOI, comme Lloyd Dobler (John Cusack) dans
SAY ANYTHING ou comme Pauly Bleeker (Michael Cera) dans JUNO - personnage écrit... par une femme !
La boucle est bouclée. La Manic Pixie Dream Girl est peut-être un cliché mais c'est un cliché qui fait du bien, un cliché qui montre que l'idéalisme n'est pas une valeur si niaise et ringarde et que le cynisme est peut-être un bon moyen de défense mais aussi et surtout une piètre arme quand il s'agit d'attaquer et donc d'avancer...
Je sais que je ne pourrais tomber amoureux que d'une Manic Pixie Dream Girl. Peu importe qu'on me dise que ça n'existe pas dans la vraie vie. Moi, je sais que ça existe. Je crois même que j'en connais...