23 août 2010

Crise, gros seins et eurodance

Je regardais des clips de David Guetta sur Virgin 17 (!) quand me vint une sorte de révélation digne du plus grand génie de la sociologie moderne. Car entre les chansons des Black Eyed Peas, le prochain Madonna, sa présence sur la BO de SEXY DANCE 3 et bien sûr son propre album rempli à ras bord de stars américaines de la pop (Kid Cudi, Fergie, Akon, Ne-Yo etc.), le blondinet qui scratchait dans les clips de Sidney en 1990 est devenu le VIP de la pop mondiale, comme l'ont été avant lui les autres Babyface, Timbaland, Pharrell Williams et consorts. A tort ou à raison, là n'est pas le problème.

Ce qui est intéressant, c'est le pourquoi. Pourquoi maintenant ? Pourquoi ce DJ qui nous balance sa sauce (quasiment toujours la même) depuis 10 ans à nous, Européens, se met soudainement à devenir le chouchou des dancefloors américains ? Parce que sa maison de disques et sûrement lui-même ont décidé d'investir le marché américain. Oui. Parce que les producteurs américains cités au-dessus n'ont plus d'inspiration. Oui aussi. Parce que l'ensemble des producteurs suédois (RedOne, Kleerup, Max Martin...) sont déjà trustés par les divas de la pop. Oui toujours. Mais n'y a-t-il pas d'autres raisons ? Des trucs un peu moins "évident".

Je notais alors à quel point tout n'était que fête, fête et encore fête. Dans ces clips, tous les codes de la fête y passaient à un moment ou à un autre. De "Sexy Chick" à "Gettin Over You" en passant par l'inévitable "I Gotta Feeling" et "When Love Take Over", c'est à peu près toujours le même scénario : un coin de rue, une plage ou une villa pris d'assaut par des jeun's qui investissent le lieu avec leurs grosses enceintes et leurs platines pour ensuite être rejoint par d'autres jeun's (tous skaters, breakdancer et poufs en mini-jupes) qui se déhanchent sur un beat répétitif. Bien sûr, MTV est blindé depuis ses débuts de ce genre de clips décérébrés. C'est normal. C'est un peu ça la pop aussi. De la jeunesse. De la liberté. Du fun. De la légèreté. Et des fêtes. Et les Américains font ça très bien. Regardez les clips de Katy Perry. Mais musicalement, en pop music, qu'est-ce qui est plus léger que l'eurodance ? Rien. C'est sa nature même. Sa raison d'être. Ne rien dire d'autre que "Faites la fête et dansez (de toute façon, vus les paroles et la sophistication de la prod, vous ne pouvez pas faire grand chose d'autre chose avec)". L'eurodance est LA musique de l'hédonisme.

Mais, historiquement, l'eurodance a très rarement franchi les frontières américaines. En fait, on distingue trois grandes périodes où le genre s'est installé plus ou moins longtemps au pays de la country. La première fois, c'était au milieu des années 70. L'euro-disco de Giorgio Moroder, ABBA, Patrick Hernandez, Cerrone ou Silver Convention s'installa en haut des charts avec des titres comme "Fly Robin Fly", "Dancing Queen", "Supernature" ou "Born To Be Alive". Ensuite, c'est dans la première partie des années 90 que l'eurodance frappe les Etats-Unis. Des groupes comme La Bouche, 2 Unlimited, Real McCoy et Ace of Base s'emparent des charts avec les singles "Get Ready For This", "Be My Lover", "Another Night" ou "The Sign". Quant à la troisième fois, et bien, vous savez bien, j'en parlais au-dessus.

Qu'on en commun ces trois périodes ? C'est simple : ils correspondent à des périodes de crise et de récession économique pour le monde - et en particulier pour les Etats-Unis. Milieu des années 70 : premier choc pétrolier, inflation galopante et hausse du chômage. Début des années 90 : déclenchement de la guerre en Irak, troisième choc pétrolier, inflation et hausse du chômage. Fin des années 2000 : Dégonflement de la bulle immobilière. Hausse des prix des matières premières. Inflation et chômage massif. Mais ça aussi, vous le savez très bien : on est en plein dedans !

Au final, l'eurodance est à la musique ce que les gros seins sont aux sex symbol. Une conséquence de la récession économique, voire un remède pour certains. Les paroles abscons sur des rythmes répétitifs et les courbes généreuses, ça rassure. Même chez le DJ blondinet, on s'en rend compte, entre les top model longilignes qu'il nous balançait il y a encore 5 ans dans ses clips et les filles "nature" et bien en forme des clips plus récents. Ce n'est sûrement pas un hasard si Christina Hendricks de la série MAD MEN est la nouvelle incarnation de la féminité ces derniers mois. Comme cela n'en était pas un quand la très pulpeuse Pam Grier connu l'apogée de sa carrière entre 1973 et 1974. Et qui incarne mieux le début des années 90 au registre Sex Symbol que Pamela Anderson ? De la même façon, est-ce que le désintérêt grandissant pour la de plus en plus mince Megan Fox est juste du aux caprices de Michael Bay ? Non.

Evidemment, des actrices aux gros seins, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Crise ou pas crise. Mais il faut bien avouer qu'elles sont bien plus mis en avant qu'en période faste. Regardez les années 80 et leurs Michelle Pfeiffer, Daryl Hannah ou Nastassja Kinski. Sans être plates, elles sont loin d'avoir les physiques si atypiques tout en courbe de Grier, Hendricks ou Anderson. Et qu'elles soient artificielles ou 100% naturelles, ce genre d'actrices ne deviennent des icônes pop qu'en période de récession économique. Uniquement.

C'est à ça que j'ai pensé en regardant Virgin 17. Je vais pas écrire un bouquin sur cette théorie (déjà un post de blog - heureusement qu'on est au mois d'août...) mais je trouve ça intéressant de constater à quel point les gens ont besoin - consciemment ou non - d'aller vers les trucs les plus décérébrés et les plus ronds possibles quand on leur raconte à longueur de journaux télévisés que ça va mal. Finalement, Stromae dit ça très bien : "Qui dit crise te dis monde dit famine dit tiers-monde. Qui dit fatigue dit réveille encore sourd de la veille, Alors on sort pour oublier tous les problèmes. Alors on danse..."

Quant à savoir pourquoi, nous, Européens, nous nous gargarisons à longueur de décennie de cette eurodance, crise ou pas crise, je crois que la réponse est simple : le pessimisme est notre raison d'être. Et il n'y a que les pessimistes chroniques pour produire, encore et encore, ces odes décérébrées à la fête...sous toutes ces formes. Surtout quand il y a des gros seins !


6 commentaires:

  1. Super article !! tout à fait d'accord avec toi

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  2. Séduisant, mais réducteur.
    Premièrement concernant David Guetta il ne faut pas réduire sa musique à de l'Eurodance, si elle est très présente dans ses albums (One Love) le reste de ses mix n'en est pas exclusivement (Ibiza mix par exemple, bien plus marqué Electro-House). Ensuite, c'est aussi réducteur de penser que l'Eurodance débarque aux USA; car les USA ont leur propre Eurodance, la Usdance en quelques sortes (actuellement : Taio Cruz, Ke$ha, Flo rida, BEP, etc ...). Moins axé Electro que l'Eurodance mais remplissant le même rôle. Ce n'est donc pas un phénomène d'importation sporadique. Disons que l'Eurodance vient se greffer à se mouvement déjà existant, lui donner un côté plus électro.
    Finalement il est un peu osé d'affirmer que l'Europe a érigée un pessimisme permanent. Je ne m'étendrai pas là dessus, ce serai sortir du sujet. Mais il ne faut pas tirer trop vite de conclusions sur le lien "eurodance"/crise, d'une part car c'est très réducteur pour la musique (qui écoute de l'eurodance à longueur de journée ? Personne, même en Europe...). Tout comme il faut être très prudent quant à l'Eurodance, c'est une musique "choisie à posteriori" (donc très commerciale), dans le sens où c'est en passant une chanson en boite qu'elle se verra étiquetée "Eurodance". C'est donc un peu l'arbre qui cache la forêt. Car le vrai phénomène c'est pas l'Eurodance, c'est l'Electro au sens large qui chaque jour un peu plus gagne en importance dans le monde de la musique et depuis bien longtemps. Et partant de là il est beaucoup plus difficile de faire le lien Crise-Gros seins-Electro.Car de l'Electro crise ou pas crise on en produit.Disons juste que l'Eurodance s'affiche bien (à la TV/Radio) car les gens veulent plus que jamais du "On sort pour oublier tous les problèmes". Mais qu'il ne faut pas se laisser berner par ce qui passe sur les ondes. Que passerai NRJ si il n'y avait pas de crise ? Du Guetta ou autre chose ?

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  3. J'avoue volontiers que c'est réducteur. Je le revendique même. Comme je l'écrit, je ne vais pas écrire un bouquin dessus. Ceci est juste une réflexion, quelque chose qui m'est passé par la tête en regardant quelques clips.
    Sur le sujet, pour faire quelque chose qui ne soit pas réducteur, il faudrait beaucoup plus qu'un billet de blog. Beaucoup, beaucoup plus.
    Il faut juste prendre cela, comme tout ce que j'écris d'ailleurs, comme une piste de réflexion, comme un point de départ et surtout comme du second degré. ;-)

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  4. Evidemment j'avais mis volontairement de côté le second degré pour creuser un peu ^^
    Je comprend complètement la démarche du billet, qui comme toujours est très très agréable à lire !

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  5. Alors là, je dois avouer que ton billet m'a fait hurler de rire !!!
    Crise économique et eurodance sont les mammelles du destin...

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  6. Très bon article comme toujours, bien que je trouve la relation Eurodance/crise encore plus "évidente" (pour ne pas dire "facile") que les raisons évoquées dans le 2e paragraphe. Personne n'arrivera à me faire croire que le mauvais goût n'existe qu'en période de récession ! :D

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