23 juillet 2010

Shocking !

Imaginez-vous. Vous êtes jeune et vous vivez dans les années 70. Sur les écrans sont projetés des films comme VOL AU-DESSUS D'UN NID DE COUCOU, CHINATOWN, TAXI DRIVER, ANNIE HALL ou LES DENTS DE LA MER. Vous vous considérez comme un cinéphile ou, à défaut, comme un amateur de cinéma. Vos goûts sont éclectiques et, en tant que tel, vous êtes ouverts et assez peu facilement choqués par la violence et le sexe au cinéma. Après tout, vous vivez dans une époque de grande liberté. Les révoltes soixante-huitardes de vos aînés sont passés par là et ce ne sont que des films.

Mais en tant que jeune cinéphile des 70's, en plus des grands films précités, vous êtes forcément aussi en contact avec d'autres films. Leurs noms : THRILLER, I SPIT ON YOUR GRAVE, MS.45 ou LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE. Autant de films au pitch similaire : une (jolie) fille se fait violer dans des conditions atroces et se venge dans des conditions tout aussi atroces. Des films dits d'exploitation qui surfent allègrement sur les pires instincts humains pour récolter un maximum de cash en un minimum de temps. Des films dans lesquels rien ne vous est épargné : du viol filmé avec des gros plans racoleurs aux scènes de torture plus qu'explicite qui consistent essentiellement à un résumé en images du guide "10 façons d'émasculer un homme". Des films forcément peu chers, pas souvent de très bonnes qualités voire carrément mauvais et qui ne reculent devant aucun tabous au profit de la maximisation des profits à court terme.

Bref, des films qui ont tout pour choquer la bourgeoise. Et vous. Car rappelez-vous, vous êtes un jeune homme/femme des années 70. Vous comprenez la violence des films de Scorsese, De Palma et Coppola mais voir une fille se faire violer en gros plan puis se venger en coupant la bite de ses violeurs au couteau de boucher, vous n'avez jamais vu ça. Jamais. Au pire, vous l'avez vu dans un de vos cauchemars mais jamais, au non jamais, sur un écran. Vous avez donc toutes les raisons d'être choqué(e).

Faisons alors un bon dans le futur. Nous sommes dans les années 2000. Vous êtes désormais l'heureux parent d'un(e) jeune garçon/fille. Cet enfant a grandi en regardant une bande d'attardés mentaux avoir des relations adultérines dans des jacuzzi ou sur une certaine île, en se gargarisant de perversités sadiques dans des films comme SAW ou HOSTEL et en ayant vu au moins une fois dans sa vie un gang-bang gonzo de Sasha Grey. Bref, votre chère tête blonde, entre sa télé, son ordinateur et sa salle de cinéma a déjà tout vu et tout connu. Plus rien ne la choque. D'autant que son passe-temps favori est de faire du LOL avec ses copains en regardant les films Tarantino (KILL BILL s'inspire fortement du film THRILLER). Bref, votre chérubin des années 2000 a été insensibilisé par le trash et le second degré de l'interweb 2.0. Plus rien ne le choque.

Alors aujourd'hui, quand vous voulez rentabiliser au mieux votre investissement cinématographique, que faites-vous ? Vous en rajoutez des couches et vous cherchez le scandale et la polémique. Vous faites ce qui a déjà été fait avant vous et vous poussez le bouchon. C'est ce qui se passe avec la franchise SAW. D'épisode à épisodes, de plus en plus de perversité, de plus en plus de sang, de plus en plus de tout. Jusqu'à la dernière goute. Et c'est également ce que ce sont dit les producteurs du remake de I SPIT ON YOUR GRAVE.

L'année dernière, quand Wes Craven a produit un remake de sa DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE, il a fait le choix d'assécher le contenu graphique au profit du contenu psychologique ce qui, avouons-le, ne rend pas la chose moins intense. C'est un choix qui a eu tendance à pas mal plaire aux critiques, moins au public qui est loin d'en avoir fait un succès. Bref, le film d'exploitation avait été mis dans les mains d'Hollywood qui, avec ses moyens, en a fait un produit plus calibré, moins choquant (quoi que), plus "intello" aussi. C'était un choix, pas forcément payant mais qui a eu le mérite d'offrir un nouveau film d'horreur plutôt bon.

Ce n'est définitivement pas le choix qui a été fait pour I SPIT ON YOUR GRAVE. Le réalisateur vient de la série B, le budget n'a pas été revu à la hausse et toujours pas de stars (du moins d'acteurs connus) au générique. Les producteurs ont opté pour du cinéma d'exploitation pur et dur en version 2.0. Sans avoir vu le film, il est donc fort à parier que le seul intérêt de ce remake sera de constater à quel point les pantalons pattes d'éléphant, les rouflaquettes et les cols pèle-à-tarte étaient démodés. En gros, on adapte bêtement un film déjà mauvais pour surfer sur sa réputation sulfureuse et profiter d'une "certain" regain d'intérêt pour le cinéma d'exploitation des années 70 (le fond de commerce de Quentin Tarantino !)

Mais comment réussir à choquer la bourgeoise, meilleur moyen, s'il en est, d'attirer ses chérubins qui, rappelons-le, ont été totalement désensibilisé à toute violence ? Ce n'est plus les années 70. Les viols et les histoires de vengeance sanglante ne font plus sensation. Hollywood s'y est mis. Des acteurs respectables jouent les bouchers sur grand (et petit) écran, de Uma Thurman dans KILL BILL à Jack Bauer dans 24. Comment faire ?

Encore une fois (c'est l'époque qui veut ça), l'idée vient du marketing. A vrai dire, je ne suis pas sûr que "l'idée" soit volontaire mais le résultat est là : une (mini) polémique. Et là, je ne parle pas de ce "soi-disant" spectateur s'évanouissant pendant l'avant-première mondiale du film au Festival Fantasia. Je parle d'une affiche.

Le premier poster pour le film, en se focalisant sur la partie vengeance, avait quelque chose de classique (pour un film d'horreur post-SAW). Sur fond noir, une fille visiblement en colère avec une père de cisailles rouillées. Ça dit que ça doit dire et puis voilà. La deuxième, au contraire, se focalise sur la partie viol et là, tout de suite, c'est beaucoup plus dérangeant. Sous forme d'hommage à l'affiche originale des années 70, on y découvre, sur fond blanc, une fille de dos, un couteau à la main et à moitié nue, la petite culotte laissant largement entrevoir son postérieur. A quelques "détails" près, c'est la même affiche que celle de l'originale qui montrait, elle aussi, une fille de dos, un couteau à la main et à moitié nue, la petite culotte très déchirée.

Mais ces deux affiches ont beau être très similaires, elles ne disent pas du tout la même chose. Et c'est dans les fameux "détails" qu'il faut chercher. L'original, au lieu du fond blanc, se situait dans le forêt où l'héroïne avait été violée. Ensuite, l'original montrait cette fille en train de marcher d'un pas vif, alors que la nouvelle est très statique. Enfin, un long texte venait expliquer le contexte. "This Woman has just cut, chopped, broken and burned five men beyond recognition... but no jury in America would ever convict her ! An Act of Revenge." Voilà ce qu'on pouvait y lire tandis que la nouvelle affiche arbore un laconique et ultra-racoleur "Unrated".

Quelle sensation avez-vous alors en regardant pour la première fois cette affiche de I SPIT ON YOUR GRAVE version 2010 ? Je vais vous dire la mienne. J'avais l'impression de voir une sexualisation du viol. J'avais l'impression qu'on rendait "sexy" une victime de viol. Et ça m'a mis mal à l'aise. De ce point de vue, je suis vraiment pas une petite nature mais il y a des choses limite et faire entendre, même involontairement, même très subtilement, que le viol est sexy, est juste intolérable. Point.

Et voici que la polémique pointe le bout de son nez ! Cela sera-t-il suffisant à attirer des mômes en salles ? Je suis pas sûr. Aujourd'hui, si vous voulez créer une polémique avec un film, il faut être violemment plus hardcore que ça. Il faut des trucs comme KEN PARK ou MARTYRS qui, même là, heurtent seulement les petites natures (Il faut quand même que j'avoue ici que KEN PARK et les films de Larry Clark en général me choquent au plus haut point !)... et les Américains.

C'est pas avec un viol et des fesses que vous arriverez à susciter l'intérêt du jeune qui, s'il veut voir des fesses ira jeter un oeil sur le moindre petit blog masculin. Mais la connexion Internet n'est pas forcément nécessaire, une pub pour les yaourts pouvant faire l'affaire. Un petit tour par la Côte d'Azur, également. Et si vraiment le jeune veut voir des filles se faire violer pour de faux, il n'a qu'à se connecter à YouPorn. En cherchant bien, il pourrait même en trouver des vrais (ceci est une supposition, pas un constatation...) !

Bref, ce poster est grave pour ce qu'il sous-entend. Mais il n'a rien de dangereux pour une raison très simple : personne (ou presque) ne le verra. Et à ceux qui le verront, comme vous, et qui pourraient être excité par la vue de ce postérieur de femme violée, je leur conseille juste, simplement, de consulter un psy, engager une thérapie pour arranger toutes ces choses qui ne tournent pas très rond dans votre tête. Je pense sincèrement que cela se soigne très bien.

Pour tous les autres, (un peu) choqué, peut-être aussi un peu en colère, dites-vous ceci : personne ne s'est déplacé pour voir I SPIT ON YOUR GRAVE en 1978 et ce sera pareil pour I SPIT ON YOUR GRAVE en 2010. Car, au final, tous ces films d'exploitation 1er degré, tout le monde s'en fout. Tout le monde se foutait de ces films dans les années 70. Pourquoi s'y intéresserait-on en 2010 ? Ce sont juste des mauvais films qui surfent comme ils peuvent sur le sensationnalisme et des bas instincts humains un peu (beaucoup) old-fashionned. Ce n'est qu'avec la VHS, les DVD, Tarantino et Internet que ces films ont acquis un (tout petit) statut "culte" et ce n'est donc qu'en leur injectant une bonne dose de second degré (à la KILL BILL) que vous les rendez attirant pour le public d'aujourd'hui.

Et oui, le cinéma (et le monde) n'avance plus au grès des scandales et des polémiques. Il avance au grès du LOL... A vous de voir si on y perd au change.


5 commentaires:

  1. Je suis peut-être bête, mais je ne vois pas finalement en quoi l'affiche de 2010 est plus choquante que celle de 1978: celle de 78 est carrément sexy aussi, et donc tout aussi choquante.
    En fait, ce qui me choque, c'est cette éroticisation mêlée à une espèce de pseudo discours féministe "ouh, la femme violée reprend le pouvoir, allez bim, on le sort le jour de la femme" (le 8 octobre?)
    Et même dans l'affiche originelle, le discours sur "la justice faite soi-même", ça m'a toujours gênée. Mais là où je suis d'accord, c'est que l'affiche affirme explicitement que cette nana a vécu un traumatisme, donc crée une barrière. En fait, on te vend du féminisme à joli cul sur fond de viol, ça me fait frémir...

    Scènes de viol les plus hallucinantes pour moi: à la fin de Kids, et bien sûr, Jodie Foster qui se fait gang-banger dans The Accused (et je pense que son droit à la vengeance et à la justice est autrement plus poignant que dans un film d'exploitation, en effet)

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  2. Au temps pour moi, c'est le film qui s'appelle aussi "day of the woman". Still...

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  3. Je suis tout à fait d'accord que l'affiche originale avait déjà quelque chose de sexy. Mais l'affiche de 2010 renforce encore plus cette sexualisation. Dans la première, le contexte de la forêt, le mouvement en avant et l'accroche "atténuait" la sexualisation du viol au profit de la vengeance (c'est pas forcément mieux mais c'est comme ça ;-D). Dans la nouvelle, avec ce fond blanc totalement dépouillé, toute l'emphase est mise sur les fesses et la culotte échancrée...

    Le paragraphe sur le "féminisme opportuniste" des films était prévu et puis j'ai du me laisser emporter... Il a zappé !

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  4. Pour le coup je trouve tout de même que l'affiche originale était mille fois plus érotique que cette nouvelle affiche froide qui n'appelle plus à l'érotisation mais à la froideur clinique. Dans l'originale, la forêt apparaît comme une jungle, le corps de la fille est en mouvement, mettant en avant les rondeurs, laissant apparaître de la sueur. C'est de la pure atmosphère sexuelle. Dans la nouvelle, c'est blanc, c'est statique, franchement à mes yeux il n'y a aucun risque de percevoir une érotisation du viol à travers cela, c'est tout le contraire de l'érotisation. T'as une paire de fesses, ouais... mais bon...
    Sur le discours après oui, je suis d'accord, mais là pour ce qui est de ces affiches, pour moi il n'y a pas lieu de s'offusquer de cette nouvelle si on ne s'offusquait pas de l'originale ;-)

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  5. bah faut pas dire ça tous les jeunes ne sont pas insensibles à la violence ou ça doit etre que moi...
    remarque on a regardé "un prophète" pour le cours de philo et je dois dire que j'avais des hauts le coeur et l'envie de vomir en sortant d'autant plus que ça me choque toujours autant les gens insensibles autour de moi qui rigolent d'une scène choquante ou d'un fait d'actualité y a des limites quand même >< parce qu'à force de rigoler, banaliser, on finit par devenir comme tu dis, insensible et même parfois montrer de mauvais schémas d'interprétation aux plus jeunes (un mec qui parle d'une supposée scène de guerre en rigolant la plupart du cas je sais bien qu'à l'intérieur il doit être tout aussi choqué, dégouté...du moins je l'espère parce que sinon je ne les considère même pas comme des êtres humains les gens qui pensent comme ça...)

    c'est ça le problème avec les gens, ils ne montrent pas à l'extérieur ce qu'ils pensent à l'intérieur y a toujours un gars (ou une fille) qui lance des remarques sexistes/vulgaires tout ce que tu veux mais y a personne pour dire STOP tu te rends compte de ce que tu dis ? (à part moi bien sûr)
    j'ai juste envie de leur hurler à la figure qu'ils n'ont pas de coeur
    peut etre parce que je suis trop gentille, trop "humaine" dans ce monde de brutes *sigh*

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